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Nouvelles du CRAIG

Parlement wallon et Parlement de la Communauté française - audition sur le Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance

Ce 4 décembre 2013, B. Bayenet, professeur à l'ULB et vice-président du CRAIG, a été auditionné lors de la réunion conjointe de la Commission des affaires générales, de la simplification administrative, des fonds européens et des relations internationales du Parlement wallon et de la Commission des Relations internationales et des Questions européennes, des Affaires générales et du Règlement, de l'Informatique, contrôle des communications des membres du Gouvernement et des dépenses électorales du Parlement de la Communauté française. 

 

"Populismes et nationalismes européens: un défi majeur pour nos démocraties"

19-02-2013

 

Monsieur le Recteur,
Chers étudiants,
Mesdames, Messieurs,

D’emblée, il me tient à cœur d’exprimer mes chaleureux remerciements au Collège d’Europe pour son aimable invitation, qui me fournit aujourd’hui l’occasion de prendre la parole devant un auditoire avisé, dans cette belle ville de Bruges, si fière de son histoire et de son rayonnement culturel qui lui confèrent incontestablement une dimension européenne et internationale. Je me réjouis d’être parmi vous dans ce lieu d’enseignement qui continue la tradition humaniste de la cité qui l’abrite et qui se distingue comme un espace privilégié pour apprendre et comprendre la complexité des enjeux européens tout en vivant l’Europe au quotidien. Le Collège forme depuis plus de 60 ans maintenant ces jeunes européens dont notre continent a besoin pour avancer. Le progrès en Europe signifie également endiguer à tout jamais ces démons du passé : nationalismes et extrémismes, qui - bien qu’ayant procuré au continent ses heures les plus noires - ne veulent s’avouer vaincus. Face à cette menace, le Collège et tous ceux qui franchissent ses portes, de concert avec les forces démocratiques et européennes, doivent assurer qu’une coopération et intégration toujours plus fortes gagnent du terrain chaque jour.

En vous livrant quelques propos sur le développement des populismes et des nationalismes en Europe, je ne prétends pas faire fonction d’expert et je souhaite éviter de donner dans l’amalgame. Tous les mouvements ou tous les partis qui s’engagent dans la voie de l’affirmation d’une identité nationale ou régionale ne versent pas dans l’extrémisme ou dans le populisme. La seule opposition à des modèles politiques, économiques ou sociaux dominants ne fait pas de vous un dangereux fanatique. Le populisme n’est pas l’apanage de la droite hélas, pour l’homme de gauche que je suis.

Ces dernières décennies ont vu apparaître un nouveau paysage politique et partisan. Les grandes familles de pensées politiques européennes de la seconde partie du vingtième siècle, chrétienne sociale, libérale et sociale-démocrate ont perdu un peu de leur attractivité sous la quadruple influence de la chute du mur de Berlin, de la globalisation, de la libération des mœurs et de l’émergence d’un conscience environnementale.

Cette recomposition du paysage politique ne se fait pas sans heurts ni sans douleurs. Et puis, reconnaissons que dans le passé, même dans les Golden Sixties qui, certes seulement pour une partie des Européens, sont dotés de toutes les vertus - même dans ces années dirais-je - il y avait des partis et des mouvements extrémistes portant des thèmes dangereux pour la démocratie, voire niant toute légitimité aux processus électoraux.

Les défis d’aujourd’hui sont dès lors aussi ceux d’hier et probablement de demain.

Cela dit, la situation actuelle donne à réfléchir et prête à l’inquiétude.

Au fil des années le Front national en France ou son pendant autrichien se sont banalisés et normalisés aux yeux de nombreux citoyens en même temps qu’une extrême droite au racisme virulent et d'inspiration ouvertement néofasciste prend racine au sein de l'Union européenne. C'est le cas en Grèce, avec les pronazis d' «Aube Dorée», portés par la crise économique, mais aussi en Hongrie avec le «Jobbik» (qui se proclame «Les Meilleurs»), qui en 2009 a envoyé trois élus au Parlement européen et constitue depuis les législatives d'avril 2010 la troisième force au Parlement de Budapest. Ce parti rejette les idéaux démocratiques, vénère Horthy et voudrait restreindre le droit de vote des Hongrois les moins éduqués, le plus souvent des Roms. Cette évolution n'a rien d'anodin dans le contexte actuel car si le «Jobbik» se maintient à 17% d'intentions de vote dans les sondages, le parti de droite au pouvoir, le «Fidesz» du premier ministre Viktor Orban, a glissé vers des positions difficilement acceptables par rapport aux valeurs que l’Union européenne défend partout au monde.

Je regrette que la politique n’aborde que trop rarement avec la franchise requise les dangers que peuvent représenter pour nos sociétés européennes les nationalismes et populismes de colorations les plus diverses.

Tout en faisant l’économie d’un retour sur l’histoire européenne, je vous donne un instant à considérer les événements et attitudes qui ont mené à la montée du fascisme en Italie dans les années 1920 ainsi qu’à la prise de pouvoir d’Adolf Hitler et à la consécration de l’idéologie nazie dans l’Allemagne des années 1930. En arrière-plan de ces errements: un mélange de ressentiment à l’égard des règlements de la Première Guerre Mondiale, une situation socio-économique difficile et la peur devant la montée du communisme, autant de facteurs déstabilisants qui ont favorisé la démagogie populiste et l’émergence spectaculaire des extrémismes.

Le phénomène n’est pas nouveau, dans la mesure où il affecte ou a affecté la plupart de nos pays, preuve que toutes nos sociétés peuvent être vulnérables, mais aussi que toutes portent en elles un antidote. L’affaire Dreyfus illustre, je crois, mon propos. Elle réunit au départ tous les ingrédients d’un nationalisme pervers, d’un rejet de l’autre, de racisme et d’antisémitisme, d’accusations montées, le tout brassé avec une solide dose de populisme. Dans le célèbre «J’accuse» d’Emile Zola, elle indique aussi le chemin pour sortir de l’impasse. En 2013 comme en 1898 nous avons besoin d’hommes et de femmes qui n’ont «qu’une passion», comme écrivait Zola, «celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur».

Ce sont là des exemples parmi les plus lourds de conséquences dans l’histoire européenne récente ; ils sont aussi représentatifs d’un menu indigeste dont les ingrédients se ressemblent invariablement et s’appliquent à divers dosages selon les circonstances et les pays. D’aucuns banalisent les tragédies d’un passé pas si lointain. Le danger réside précisément dans cette banalisation, à l’exemple récent d’un «cavaliere» souhaitant revenir dans l’arène politique et ne reculant pas devant une certaine nostalgie mussolinienne pour paver son retour en politique. Cette frivolité dans le traitement de l’histoire et de ses tragédies est le fait du démagogue populiste; c’est en quelque sorte sa marque déposée.

Ce mélange explosif populiste-nationaliste se compose de patriotisme débridé et de protectionnisme, de réflexes de défense face à l’autre, de rejet global de l’étranger, de méfiance viscérale face aux institutions étatiques et de refus de l’internationalisation. Les populistes et nationalistes s’affublent du rôle exclusif de défenseurs des valeurs consacrées, de l’ordre et de la tradition. Ils insufflent la méfiance et construisent leurs raisonnements et démarches sur les peurs et les angoisses de l’individu, ses frustrations et ses rancunes. Les difficultés économiques et les effets souvent peu contrôlés de la mondialisation que vivent nos pays peuvent fournir un terrain fertile aux simplifications. L’équation d’un Le Pen: «Un million de chômeurs, un million d’immigrés» en est l’illustration parfaite.

Comment aborder le sujet de l’extrémisme? La question ne figure pas à l’ordre du jour de l’Union européenne, ce que l’on peut regretter. Qu’on le veuille ou non, le fait que les démocrates bienpensants gardent trop souvent le silence est interprété par les nationalistes et populistes comme une approbation tacite de leur idéologie. Notre réponse démocratique ne doit dès lors pas être faite de passivité, de mutisme ou d’indifférence. Nous devons cesser de faire, par mégarde ou négligence, le lit des extrémistes et populistes de tout bord.

Dans la foulée de la chute du Mur de Berlin et des énormes changements qu’entraînèrent la libération et la réunification européennes on avait vu, dans la partie orientale du continent, des sociétés aux prises avec elles-mêmes et à la recherche de leur nouvelle identité et, dans sa partie occidentale, des préoccupations et des anxiétés grandissantes face à l’émergence et à l’affirmation de ces Etats qui font pourtant partie de l’unité historique et culturelle de notre continent. Le terrain était fertile pour les démagogues de tous bords; les populismes eurent la vie belle et les nationalismes trouvèrent leurs fervents adeptes. A cette époque, l’on pouvait encore penser que les poussées antidémocratiques s’expliquent par des bouleversements profonds et des fièvres du moment, liées à des contextes nationaux particuliers, dans une Europe en transition.

La persistance des nationalismes et populismes interdisent que nous nous en tenions à une telle hypothèse. Même si le «plombier polonais» ou d’autres fantasmes des démagogues ne hantent plus l’imaginaire, nos démocraties européennes voient fleurir et se multiplier les partis populistes, emmenés par des dirigeants à la rhétorique habile et capables de performances électorales souvent remarquables et inquiétantes à la fois.

La liste des mouvances antidémocratiques en Europe est fastidieusement longue. Le phénomène extrémiste est omniprésent et touche à la fois les Etats membres fondateurs et les pays ayant rejoint le processus d’unification européenne successivement entre 1973 et 2007 tout comme des pays extérieurs - la Suisse ou la Norvège, p.ex. - qui ont tissé des liens de coopération intenses avec notre Union.

Une trentaine de partis de type national-populiste plus ou moins influents se répartissent sur dix-huit pays européens. Onze de ces formations antidémocratiques ont dépassé les 15% des suffrages exprimés lors d’élections nationales. Dans ce bilan, j’ai compté les seuls mouvements et partis qui ont atteint une influence électorale supérieure à 5% dans le cadre d’un scrutin national.

A ce jour, des partis à tendance nationale-populiste et d’extrême droite sont représentés au niveau parlementaire en France, en Autriche, en Finlande, en Italie, en Grèce, au Danemark, en Suède, en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie, en Bulgarie, en Lituanie, en Pologne, en Suisse et en Norvège. Plus près de chez nous, au sein du Benelux, les Pays-Bas sont durement touchés.

Aux élections pour le Parlement européen de juin 2009, l’extrême-droite avait réalisé un score à deux chiffres dans six Etats membres (Pays-Bas, Danemark, Hongrie, Autriche, Bulgarie et Italie) et une performance située entre 5% et 10% dans six autres pays de l’UE (Finlande, Roumanie, Grèce, France, Royaume-Uni et Slovaquie). En Belgique, nous pouvons noter avec soulagement que la formation d’extrême-droite du «Vlaams Belang» a été laminée par la «Nouvelle Alliance flamande» conservatrice de droite de M. De Wever (N-VA), par rapport à laquelle nous demeurons néanmoins en alerte et soucieux en raison d’un discours régionaliste souvent perçu comme séparatiste. En tant que voisins et amis de la Belgique, nous nous en préoccupons.

Alors qu’en Allemagne, l’extrême droite n’a guère voix au chapitre dans les élections législatives fédérales, le NPD reste très actif au niveau régional et local et détient huit sièges au parlement en Saxe et cinq sièges à celui de Mecklembourg-Poméranie. Les assassinats commis par une cellule d’extrême-droite ont bousculé tant les autorités que l’opinion publique allemandes et créé une prise de conscience nouvelle, tranchant avec un air d’immobilisme béat.

L’extrême-droite a gagné du terrain avec une force particulière en Bulgarie, en Slovaquie, en Hongrie, mais aussi en France, où au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 la candidate du Front National a obtenu 17,90% des voix, représentant le meilleur score réalisé par cette formation d’extrême droite sous la 5e République, Mme Le Pen arrivant en troisième position derrière Nicolas Sarkozy.

En termes de recours à l’action violente, l’extrême droite s’est mise en scène de manière préoccupante notamment par des actions homophobes en Slovaquie, des violences à l’encontre de la minorité rom en Hongrie, l’attaque terroriste indicible d’Oslo et d’Utoya en Norvège ou encore - précisément - par la série d’assassinats d’immigrés en Allemagne par le groupe néonazi NSU auxquels je viens de faire référence.

Qu’ils soient ouvertement racistes et fascistes, ou nationalistes et identitaires, qu’ils parasitent des pays riches ou moins nantis, les nationalismes et populismes se radicalisent tous azimuts.

Certains pays semblent en revanche moins perméables à la pénétration de l’extrémisme : cela paraît fort heureusement aussi être le cas de mon pays, le Luxembourg. Et je touche du bois… car, comme dans toute société en proie au doute dans des circonstances économiques plus rudes, des anxiétés et des préjugés plus ou moins latents sont également perceptibles dans certaines franges de notre population.

Le Luxembourg, terre de passage historique et terre de migrations s’est transformé en société cosmopolite et multiculturelle. Nous avons la chance de bénéficier de cette ouverture sociale, culturelle et économique que procure un environnement international, multiculturel et multilingue qui nous a appris et continue à nous apprendre la tolérance. Tout n’est cependant pas parfait. Il s’agit aujourd’hui pour nous de préserver ce modèle et pour ce faire nous devons assurer une meilleure participation de tous à la vie politique et une meilleure intégration de ceux qui le souhaitent à notre société par un accès plus facile à la nationalité ou à la double nationalité tout comme nous devons viser un large débat sur une extension du droit de vote des résidents étrangers, leur permettant de prendre part aux élections législatives et ainsi assurer une meilleure participation citoyenne.

43,8% de notre population résidente est d’origine étrangère. Ce phénomène est unique dans l’Union européenne. A titre d’illustration: la France compte seulement 6% d’étrangers, tandis que l’Allemagne en compte 9, la Belgique 7 et la Pologne 2. S’y ajoute qu’au fil des ans le recours aux travailleurs issus de nos pays voisins n’a cessé de se développer: aujourd’hui, plus de 40% de l’emploi salarié intérieur est occupé par des frontaliers. Notre marché de l’emploi se caractérise donc par un taux exceptionnellement élevé de main-d’œuvre étrangère et multilingue. 70% de notre population active est composée de travailleurs immigrés ou de frontaliers. S’y ajoute la présence de plus de dix mille agents et fonctionnaires internationaux qui vivent et travaillent au Grand-Duché.

Cette situation fait que pendant la journée les Luxembourgeois se trouvent être en minorité sans que cela n’ait donné lieu à des problèmes véritables ou imaginaires, hormis les inévitables bouchons sur les principaux axes de circulation. Bref, nous vivons au quotidien le multiculturalisme qui a tellement contribué à notre bien-être.

Souvent le séparatisme ou sécessionnisme revêtent la forme d’un nationalisme à connotation identitaire forte:

Les nationalismes séparatistes en Europe, s’ils possèdent leurs particularismes et leurs revendications spécifiques, et s’ils doivent également être vus sous l’angle de batailles idéologiques et politiques enracinées dans les histoires respectives, combinent parfois la défense identitaire avec un refus des mécanismes de solidarité et de redistribution internes, exacerbés dans une Europe en crise.

Au même moment où les Etats membres de l’UE ou du moins ceux de la zone euro sont en passe de céder des pouvoirs accrus aux institutions de l’Union européenne dans les domaines budgétaire, financier, bancaire et économique pour surmonter la crise de l’endettement, des forces centrifuges redoublent d’intensité dans certaines régions européennes. Or, seule une grande communauté politiquement au diapason et économiquement solidaire sera en mesure de résoudre des problèmes de telle taille et nature.

Quelles peuvent par ailleurs, dans certains contextes spécifiques, être les causes de cette propagation des mouvements radicaux, voire antidémocratiques?

En Europe centrale, dans les années quatre-vingt, la rapidité du changement de système a plongé des pans entiers de la population dans un état d’anomie. Pendant l’ère communiste, les tendances à l’autoritarisme, au centralisme et au nationalisme s’étaient de toute évidence renforcées. Après la chute du Mur, une multitude de groupes marginalisés par la précipitation des événements et de groupuscules opportunistes aux orientations douteuses ont vu le jour.

A l’opposé de l’Europe occidentale, le phénomène de l’immigration a été pratiquement absent des pays de l’Europe de l’Est. Or, bizarrement, les partis extrémistes y polémiquent avec une virulence particulièrement grossière contre les «étrangers». Leurs propos haineux s’adressent en premier lieu aux diverses minorités dans le pays, voire dans la grande région.

Ainsi, les conflits avec la minorité hongroise sont régulièrement attisés en Slovaquie, alors qu’en Hongrie et en Bulgarie les populistes s’en prennent avec prédilection aux populations rom et sinti. Enfin - remarquons dans ce contexte que la présence de «gens du voyage» provoque du mauvais sang ainsi que des réactions de peur et de rejet un peu partout en Europe. La France, notamment, mais aussi l’Espagne et même mon pays peuvent livrer des exemples pour illustrer mon propos.

Tout discours populiste comporte des constantes qui portent à la fois sur sa forme et son contenu.

Permettez-moi une radioscopie des ingrédients essentiels du credo populiste.

Le discours populiste, teinté d’un nationalisme bravache et souvent agressif, est pauvre en contenu rationnel, mais riche en propos à l’emporte-pièce à tonalité émotionnelle. Il pèche en permanence par la réduction de situations et de problèmes à leur portion congrue. La rhétorique populiste, véritable stratégie de manipulation, joue sur l’émotion au détriment de la raison.

Le populiste se pose en vengeur, appelant à la haine de ses ennemis désignés, un moyen parfait pour créer du ressentiment. Et en effet, un homme angoissé succombe bien plus facilement à la promesse de solutions faciles et rapides.

Tout populiste récuse le discours raisonné et l’évaluation du pour ou du contre, et, partant, les compromis. Il méprise les intellectuels, jugés coupés de la réalité et imbus de leur rationalisme d’un autre temps, à des années-lumière d’un «peuple» dont ils ne sauraient comprendre les «aspirations profondes».

L’autre trait commun aux populismes est l’appel au «peuple» ou à la nation conçus comme une unité organique, auréolée de toutes les vertus. Cette référence à un «peuple» monolithique n’est qu’une chimère, fondée sur la notion d’existence d’ennemis du peuple intérieurs: opposants politiques, immigrés et minorité, et extérieurs: Union européenne, mondialisation, pays émergents. En réalité, les populistes méprisent profondément le peuple qu’ils prétendent défendre contre le «système». Forts de leur habileté démagogique et rhétorique, ils instrumentalisent le désarroi et les angoisses, souvent bien réels, qu’éprouvent des franges entières de nos populations européennes face à un monde en mutation, de plus en plus complexe, de surcroît plongé dans une crise financière, économique et sociale depuis 2008.

Une partie de l’électorat de formations antidémocratiques n’est pas foncièrement extrémiste mais peut être amenée à exprimer un vote contestataire pour sanctionner un gouvernement en réaction à des décisions et mesures qui ne plaisent pas.

C’est tout particulièrement à ces citoyens-électeurs, et à leur sentiment d’insécurité et de vulnérabilité, qu’il faut adresser le message que l’Union européenne est le meilleur gage de protection dont nous disposons contre certaines dérives de la mondialisation et de l’interdépendance à l’échelle planétaire. Elle constitue aussi la meilleure réponse aux défis et difficultés dans les domaines économiques, commerciaux et financiers. La voie du protectionnisme économique ainsi que toute formule de retour aux isolationnismes nationaux n’est qu’illusion. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons défendre nos intérêts et valeurs dans un contexte globalisé.

Souvent, l’individu voit avec anxiété se défaire son univers de référence, cette société relativement close et protégée qu’auraient connue les générations précédentes.

Or, se rassembler derrière les chantres populistes de la «société fermée», qui exploitent sans scrupules ces inquiétudes et angoisses en promettant de verrouiller les frontières, mène dans l’impasse.

Aucun sujet souverain, si vaste et si peuplé soit-il, ne peut plus protéger ses conditions de vie, sa sécurité, ni maîtriser la lutte contre la dégradation sur le plan écologique.

Au lieu de prôner le repli sur soi, nos pays sont appelés à adapter leurs évolutions aux mutations mondiales inévitables et à se projeter résolument vers l’avenir, en s’ouvrant sur les nouvelles opportunités que l’espace global apporte. La mondialisation est aussi un enrichissement culturel, scientifique, technologique et humain.

Que penser de cette autre obsession du populisme européen qu’est le rejet de l’Union européenne? Dans leur esprit, populistes et nationalistes pointent du doigt l’Union européenne comme la source de tous les maux.

Les institutions européennes sont disqualifiées comme étant des instances agissant au seul profit auto-centrique de «Bruxelles», entité floue, institutionnellement inepte, bureaucratique, qui vérifierait l’affirmation fallacieuse que l’Union européenne est foncièrement antidémocratique.

Au sens plus large, le fait d’attaquer les institutions européennes est devenu une manière facile et récurrente de redorer son blason sur le plan interne. Les succès communautaires sont «nationalisés» alors que les échecs internes son «européanisés».

Je suis convaincu que nous devons repenser notre communication sur l’Europe. Les déclarations publiques à l’issue du dernier Conseil européen - qui n’est pourtant pas une assemblée d’extrémistes ou de populistes - peuvent contribuer à illustrer mon propos. Dans leurs déclarations concernant le cadre financier dans la perspective de 2020, la plupart des dirigeants ont affirmé s’être battus pour leurs intérêts nationaux. Rares ont été ceux qui ont mis en avant l’intérêt commun, européen. Il est irresponsable de réduire l’Europe à une équation comptable qui connaîtrait des gagnants et des perdants, ou de décrire les négociations en termes de championnat visant à célébrer les victoires ou les défaites des uns sur les autres. Nous devons changer d’approche et de méthode de communication et placer l’intérêt commun au centre de nos réflexions et débats comme de nos déclarations et actions. La légendaire exclamation thatchérienne: «I want my money back», est en contradiction flagrante avec les buts et idéaux des pères fondateurs de l’Union. Malheureusement, elle continue de hanter les esprits européens jusqu’à nos jours. Or, la construction européenne ne peut se faire au rabais.

Le regain nationaliste dans le chef des dirigeants politiques européens est relativement nouveau de par son intensité: mention «ethnique» pour l’expulsion des roms sous la présidence de Nicolas Sarkozy en France, qualification de l’Union européenne comme étant un «projet erroné où le pays se dissout tel un carreau de sucre dans une tasse de café» selon l’eurosceptique ex Président tchèque Vaclav Klaus, relance du débat sur la peine de mort et sur l’interdiction de manifestations d’homosexuels par l’opposition parlementaire en Pologne ne sont que quelques exemples de cette dérive par rapport au fondement humaniste et démocratique de l’Union européenne.

Les idéologies nationalistes ont de manière répétée conduit l’Europe à sa perte. Les «pères fondateurs» ont précisément créé la Communauté européenne pour bannir à tout jamais les guerres et conflits meurtriers. La construction européenne a mis un terme à la belligérance, par la transformation des nations européennes antagonistes en un ensemble communautaire pacifique. Le jury Nobel ne s’y est pas trompé puisqu’il a doublement salué l’action de l’Union européenne comme facteur de paix intérieur en Europe et dans le monde.

Souvenons-nous que solidarité et tolérance sont des valeurs fondamentales de notre Union alors que les extrémistes diffusent la haine de «l’Autre».

Pour éviter de libérer de manière durable un espace de plus en plus large pour l’expression de refus du système démocratique, véhiculé par les formations extrémistes, tous les partis politiques démocratiques doivent être davantage à l’écoute de leurs concitoyens et des questions qu’ils posent concernant la crise, l’emploi, la violence, le terrorisme, les conséquences de la mondialisation, ou encore eu égard à la légitimité et au fonctionnement de l’Union européenne.

Le citoyen doit redevenir un acteur de la politique, débattre, s’investir dans la vie associative et la société civile, s’informer, aller au-delà de ses instincts et de ses peurs. En clair, il doit se projeter dans une logique sociétale et sociale. A défaut, le populisme continuera à gagner du terrain.

La dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit et les droits de l’homme universels et indivisibles : ancrées dans le Traité de Lisbonne, ces valeurs fondamentales de l’Union européenne y sont énoncées dès les premières pages. Ce Traité ouvre d’ailleurs la voie à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme de 1951 et garantit la mise en œuvre de la Charte des droits fondamentaux de 2000, qui est devenue juridiquement contraignante. Bref, l’Union européenne s’est dotée d’un éventail de droits civils, politiques, économiques et sociaux qui sont juridiquement contraignants, non seulement pour elle-même et ses institutions, mais aussi pour ses Etats membres.

L’Union européenne n’a pas pour but d’uniformiser les modes de vie, les traditions et les affinités culturelles propres à chacune des nations qui la composent, elle fait de la diversité une de ses valeurs essentielles. Un principe essentiel de l’Union européenne est la subsidiarité, destinée à créer une meilleure proximité avec les citoyens.

Dans des moments historiques dominés par le changement, le populisme surgit en réaction. Si, à mon avis, l’extrémisme et le populisme ne réussiront pas à s’imposer, ils restent dangereux et peuvent constituer un frein pour nos démocraties.

Nous démocrates - et surtout vous, les jeunes - nous devons militer au quotidien pour fortifier nos démocraties face à la pression exercée par les populistes et les nationalistes. L’indifférence est le premier atout des populistes. Nous devons fermement tenir nos positions, rester cohérents sur le plan de nos principes, mesurés dans nos actions, et transmettre aux électeurs le message clair que la démocratie pluraliste est le bien commun le plus précieux de la vie en société.

Par ailleurs, tous les démocrates doivent prendre au sérieux et répondre à certaines interrogations, inquiétudes ou colères qui traversent nos sociétés et reconquérir les électeurs protestataires.

Au niveau national, nous devrons savoir répondre aux tensions nées d’une situation singulière alliant vieillissement démographique, multiculturalisme et modèles d’intégration, crise des finances publiques, faible croissance économique et chômage.

Sur le plan européen, nous devrons veiller à ce que nos valeurs démocratiques soient scrupuleusement respectées partout. Pour redonner confiance aux électeurs protestataires des partis antidémocratiques, nous devrons formuler une vision renouvelée de l’Europe citoyenne. Celle-ci nécessite un dialogue intense, englobant toutes les composantes de nos sociétés et une prise en compte au niveau communautaire des soucis et préoccupations des citoyens. Une véritable participation citoyenne est un puissant outil pour couper l’herbe sous les pieds des chantres populistes et nationalistes.

A l’échelle globale et notamment dans nos relations avec la rive sud de la Méditerranée, nous devons récuser avec force et conviction les thèses d’un choc des civilisations prôné par ceux qui espèrent tirer profit de la confrontation. Le destin de notre 21e siècle en dépend. Le dialogue entre les cultures, entre les civilisations, entre les religions est la meilleure réponse, partout, à apporter aux ennemis de la liberté qui misent sur l’affrontement aveugle.

Ce dialogue respectueux de la diversité va naturellement de pair avec un soutien résolu aux processus de démocratisation engagés notamment par les soulèvements du «Printemps arabe» qui soulignent l'universalité de l'aspiration à la liberté et à l'exercice de la citoyenneté.

Nous avons le devoir politique et moral de soutenir les réformateurs, dans le respect des droits et identités des peuples, et il nous incombe de combattre la dictature, le terrorisme et l’obscurantisme partout où nous les rencontrons. En dernier ressort, le cas échéant, par le recours aux armes, malheureusement - comme c’est le cas actuellement au Mali. La communauté internationale ne saurait tolérer les excès barbares, violant les règles fondamentales de protection des droits de l’homme, mettant dans un péril particulier les couches les plus vulnérables des sociétés que sont les femmes et les enfants.

Cela étant, nous devons éviter toute confusion entre démocratisation et occidentalisation. Car si notre mémoire est parfois courte, les peuples jadis soumis à la domination de l'Occident ne l’ont pas oublié et sont prompts à voir dans nos actions une résurgence de l'impérialisme et du colonialisme.

La montée de l’incompréhension, de l’intolérance et du ressentiment que nous vivons en certains endroits du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, tout comme dans nos pays, du fait des extrémismes, affecte tout particulièrement notre espace commun.

Nous devons raviver la mémoire de l’époque où Averroès vénérait Aristote, qu’il disait «envoyé par Dieu pour proclamer la vérité», et où saint Thomas d’Aquin voyait dans ce génie universel de la science arabe l’interprète par excellence de l’héritage gréco-romain. Ce qui était possible alors doit le redevenir. Cela se fera dans la durée, par l’effort conjoint d’hommes et de femmes engagées et de bonne volonté.

Les conflits du Moyen-Orient, qui se renforcent et s’amalgament, affectent non seulement notre espace commun mais sont désormais au cœur de l’instabilité du monde. Ils diffusent sur toute la planète leurs effets déstabilisateurs. Ils entretiennent un sentiment d’injustice et la conviction que les identités sont méprisées, que les valeurs universelles ne s’appliquent pas équitablement.

Si nous voulons conjurer et contenir la menace d’un affrontement qui ne serait que le choc de l’ignorance et de l’arrogance, alors nous devons impérativement œuvrer en faveur du dialogue entre les peuples et les civilisations.

Je vous remercie de votre attention.

Source : Gouvernement du G.D. du Luxembourg

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